Hautecourt-Romanèche, 15h. Nous sommes 16 (record de l'année) espérant voir le terrible grand-duc d'Europe, en ce gris et froid après-midi. A moins que l'affluence ne s'explique par la perspective des papillotes, puisqu'il est prévu de clôturer l'année avec des douceurs !
Grand-roi devrait-on plutôt le nommer, ce farouche oiseau, car c'est le plus grand des rapaces nocturnes d'Europe. Son envergure peut atteindre 1,7 m. Il y a vingt ans, il avait disparu du département de l'Ain. Une cinquantaine de couples y sont désormais répertoriés. Allons-nous le voir ? Cinquante couples, c'est pas mal. Mais le grand-duc peut se trouver dans des endroits aussi divers que la Côtière, la Dombes, et surtout, les zones de falaises. Nous sommes justement au bord de la rivière d'Ain, au pied d'une impressionnante falaise. C'est un avantage certain.
Le grand-duc est très sédentaire. Il se nourrit de toutes sortes de proies, depuis les batraciens et les insectes (faute de mieux) jusqu'au gros ragondin, voire au héron, en passant par les petits rongeurs, les hérissons, les corvidés, les hiboux moyens ducs et les petits des faucons pèlerins. La présence du grand-duc dans une zone peut donc se traduire par la diminution de l'effectif de ce faucon.
Les jumelles balaient les falaises. Et très vite (les organisateurs ont tout prévu), voici une silhouette sombre, trapue, coiffée de deux petites pointes : c'est lui ! Il est, là, impassible, posé sur une plate-forme rocheuse abritée par les bras crochus d'un petit arbre, près du sommet de la falaise. Bien loin quand même. Mais les longues-vues font merveille.
Et voici un chamois, nonchalamment couché sur un petit promontoire, en haut de la falaise. Sa tête blanche est barrée de noir. Silence. L'eau de la rivière paraît presque immobile. Le grand-duc aussi est immobile. Tout est figé. Un geai et un grosbec casse-noyau rompent le silence. Cinq grands corbeaux (long cou, queue cunéiforme, plus grands qu'une buse) traversent le ciel, très haut. Un, puis trois cormorans volent vers le nord : sans doute rejoignent-ils leur dortoir. Le chamois se lève, pour se recoucher dans l'autre sens.
Les couples de grands-ducs se forment vers octobre. La ponte se produit vers février, parfois même dès janvier. Le chant du grand-duc est "ou-ho", d'où vient son nom latin de "bubo bubo". Les deux sexes chantent toute l'année, avec un maximum vers décembre. Entendrons-nous le chant du grand-duc ?
Le Revermont, modeste montagne, est pourtant parcouru par le lynx : environnement un peu trop fréquenté, mais riche en proies. Avec chance, patience et savoir-faire, on peut le voir dans les gorges de l'Ain. Vol de pinsons du nord. Le tichodrome échelette est repéré par un œil aguerri : la longue-vue le dévoile, point noir grimpant la roche verticale, quelques mètres sous la plate-forme du grand-duc. Il porte bien son nom, puisque en grec, "tychos" veut dire mur, et "dromos", chemin ou course. Des tichodromes ont même été vus le long des murs du château de Varey ! Levons la longue-vue : le grand-duc s'est légèrement déplacé. Thierry explique qu'il voit dans les mêmes longueurs d'onde que nous. Mais il est doté d'une beaucoup plus grande sensibilité à la lumière, en noir et blanc (grâce à la forte densité des "bâtonnets" de la rétine). Ceci lui permet la nuit d'utiliser au mieux le peu de lumière disponible.
Trois goélands, probablement leucophées, rejoignent leur dortoir. Bien plus près, quelques mésanges à longue queue s'abattent dans une haie. La nuit commence à tomber. Le chant du grand-duc ! Il chante, et une femelle aussi ! Son chant est un peu plus aigu et rauque que celui du mâle, dit-on. La gorge blanche du grand-duc est plus visible lorsqu'il chante. C'est aussi un signal territorial. Pierre entend un faucon pèlerin : aurait-il résisté à son prédateur ?
17h15 : le grand-duc vole ! Nous voyons ses larges ailes onduler le long du bord de la falaise. Il se rapproche de nous. Il se pose. Il repart. Il se pose. Il repart. Il suit ainsi la falaise avant de disparaître. Pierre explique que son vol est très silencieux, grâce à ses plumes très particulières : elles se terminent par des barbules en forme de peigne qui absorbent les bruits.
Papillotes, biscuits et même, gâteau et thé (Chantal est prévoyante et très attentionnée) réchauffent les corps engourdis. Il fait nuit. Sommes-nous satisfaits ? Non. Et la bécasse ! Le temps passe, point de bécasse. Levons le camp. Il est 17h45. Ainsi s'achève une belle année de sorties LPO-Ain, peu favorisées par les dieux du climat, mais riches en découvertes, en des lieux et moments savamment choisis par les organisateurs. Merci à Pierre et Marc, bien sûr, mais aussi Guy, Sabine,... de ne pas avoir ménagé leur temps pour partager leur science et leur passion !
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